lundi 17 février 2014

Déformer du verre peut être plus facile que faire couler de l’eau




Les développements de la microfluidique pour réaliser des laboratoires sur puces imposent de mieux comprendre le comportement des liquides qui s’écoulement dans des canaux de petite taille. Ainsi la taille minimale en dessous de laquelle un liquide confiné va garder son comportement de volume est une question qui fait polémique. 

Ce qui vient d’être montré grâce à une collaboration entre notre équipe et les équipes de Cécile Cottin-Bizonne et Elisabeth Charlaix, est qu’il est possible de faire une erreur fondamentale dans l’interprétation des données de mesure en oubliant  qu’un liquide peut déformer un matériau aussi dur que le verre.

Sphère et plan en pyrex déformés par le liquide.

Lors des thèses de Richard Villey et d'Emmanuelle Martinot, nous avons mesuré, en utilisant un appareil à forces de surface (dSFA pour dynamic Surface Forces Apparatus), la force qu’il faut appliquer pour faire osciller dans différents liquides (mélanges d’eau et de glycérol, huiles silicones) une bille de verre de rayon environ 3 mm au-dessus d’une petit plan de verre (1 cm x 1cm, épaisseur 5 mm). L’amplitude des oscillations de la bille est faible (une fraction de nanomètre) et la fréquence choisie de quelques dizaines de Hertz. Alors que nous nous attendion uniquement à mesurer une force en phase avec la vitesse de déplacement de la sphère et tendant vers l’infini pour des distance sphère-plan tendant vers zéro, nous avons obtenu une partie de réponse en phase avec la position de la sphère, ce qui est la signature d’un comportement élastique pour ce liquide. De plus, nous n'avons pas vu de divergence de la force visqueuse. 

En fait, il a été possible d’interpréter complètement les données expérimentales, pour l’ensemble des liquides étudiés, en faisant l’hypothèse que les liquides gardent leurs propriétés mécaniques de volume jusqu’à des confinements de une taille de molécule mais en prenant en compte que lorsque le confinement devient trop important, ce n’est plus le liquide qui s’écoule mais le verre qui se déforme.

Ce travail ouvre de nouvelles perspectives pour comprendre les écoulements de liquides confinés dans des situations aussi complexes que les suspensions solides concentrées (boues ou bétons)  ou dans les matériaux nanocomposites puisqu’il montre qu’on ne peut pas considérer les propriétés mécaniques de systèmes confinés sans prendre en compte les propriétés mécaniques des surfaces en regard… 


Référence: Villey, R., Martinot, E., Cottin-Bizonne, C., Phaner-Goutorbe, M., Léger, L., Restagno, F., & Charlaix, E. (2013). Effect of Surface Elasticity on the Rheology of Nanometric Liquids. Physical review letters, 111(21), 215701. [lien]


Saclay, ça coûte cher



L’Université Paris Saclay, ça coûte cher !

Nicolas Sarkozy a promis d'en faire une «Silicon Valley» à la française, capable de concurrencer Cambridge ou le MIT[1]. Cette ambition a été depuis confirmée par François Hollande et Jean-Marc Ayrault[2]. Le plateau de Saclay (situé à 25 km de Paris, pour partie dans les Yvelines, pour partie dans l'Essonne), perdu au milieu des champs et avec des institutions très espacées les unes des autres, n'offre guère un visage attrayant en dépit d'acteurs prestigieux comme l’université Paris-Sud, le CEA, le CNRS ou Polytechnique.

Alors, on verra ce qu’on verra… Grâce à une volonté politique sans précédent, de cette terre fertile naitra un nouveau Golem. Les annonces de milliards pleuvant sur le plateau se sont multipliées : Plan campus, Investissements d’avenir, métro automatique … Ces annonces faites plusieurs fois, parfois par les mêmes personnes, donnent des milliards confirmés, puis reconfirmés et une impression de tournis car à chaque fois que l’on parle d’un milliard notre inconscient l’ajoute au précédent. Il y a aussi ces faux milliards qui sont des milliards empruntés et dont on ne touchera que les intérêts et qu’il faudra bien rembourser un jour[3]… Néanmoins, on peut désormais penser que cette université va naître car ses statuts sont en vue d’être votés par les 23 établissements qui la composent.
Mais de quoi parle-t-on quand on parle de cette nouvelle université ? La réponse est donnée par le président de la FCS[4] (fondation de coopération scientifique) Campus Paris-Saclay : « Un principe [d’université] mixte confédérale/fédérale : les établissements conservent leur identité mais acceptent de confier à la communauté la coordination de certaines de leurs missions et de lui déléguer certaines de leurs compétences. » Si cette phrase n’est pas compréhensible pour un lecteur lambda, elle l’est probablement pour les chercheurs du troisième type que nous sommes devenus.
En effet, désormais, après avoir parlé pendant des années de science, les chercheurs sont devenus enfin sérieux. Nous avons appris le vocabulaire qui convient : nous parlons de synergie, gouvernance, rationalisation, coûts, innovations … Nous avons développé une série impressionnante d’indicateurs, nous savons travailler avec des cabinets de consultants pour faire des projets, nous faisons des feuilles de temps, nous introduisons la démarche qualité dans nos laboratoires … Nous avons eu un temps notre agence de notation indépendante. Afin d’être originale, notre agence ne donnait pas des AAA mais des A+ pour aider les décideurs à identifier « l’excellence ».
Le risque de cette mutation des chercheurs est que nous sommes devenus des spécialistes de la comptabilité analytique à défaut d’être devenus plus excellents … Alors, combien ça coûte de fabriquer cette nouvelle université ? Cette question est d’autant plus prégnante que des économies sont annoncées dans l’enseignement supérieur[5]. On peut aussi trouver la réponse dans la bouche du président de la FCS campus Paris-Saclay. Il a estimé lors de ses vœux[6] que plus de 1000 personnes travaillent sur le projet. Ces 1000 personnes « réunionnent», « réfléchissent », « harmonisent » dans des « conseils », « groupes de travail », « commissions », « sénat » … On pourrait estimer que ce chiffre est gonflé artificiellement par les partisans du Golem pour montrer une adhésion des personnels, mais il est plus sérieux d’accorder du crédit à cette estimation en considérant qu’un millier de chercheurs, enseignants-chercheurs, ingénieurs consacrent 10 % de leur temps à ce projet. En supposant que ces 1000 personnes sont des cadres moyens des établissements et en se reportant aux grilles de salaire, le coût est donc par personne, en moyenne de 6000 €/mois. Ceci fait un coût pour le projet de 6000 x 1000 x 10% = 600 000 €/mois. Il faut évidemment rajouter aux coûts salariaux, les frais d’environnements qui sont de 80 %  ce qui donne un coût actuel de fabrication de cette université de 1 080 000 €/mois en réunions.
Si l’on estime, que le lancement de ce projet nécessitera trois ans, cette université aura coûté en réunions … un peu moins de 40 millions d’euros. « Rationaliser les coûts », nous dit-on.


[1] Discours de Nicolas Sarkozy, ministre d’Etat, ministre de l’Intérieur et de l’aménagement du territoire, plateau de Saclay – Ecole Supélec –  18 janvier 2007
[2] Discours de Jean-Marc Ayrault, Premier ministre, Paris-Saclay, jeudi 10 octobre 2013
[3] En France ces IDEX sont financés à hauteur de 7,7 milliards d’euros par le « grand emprunt » encore appelé Investissements d’Avenir.
[6] « "Près de 1000 personnes se sont mobilisées pour construire l'@U_ParisSaclay dans les établissements, les GT, les #labex" D. Vernay #FCS » - Compte Twitter officiel de La FCS Campus Paris-Saclay.