lundi 14 juillet 2014

Pour attirer la crème de la crème, on crée un millefeuille.



Alors que les statuts des COMUE sont en train d’être votés partout en France, il serait peut-être temps de réfléchir à l’explosion des structures technocratiques dans le monde de la recherche et de l’enseignement supérieur. L’utilisation d’une classification universelle des espèces bureaucratiques est donc plus que jamais nécessaire. Je n’ai pas le talent de Georges Cuvier pour le classement, alors je vais me contenter de lister quelques structures existantes sans soucis d’exhaustivité. 


Le point de départ de ma réflexion est que je me suis levé ce matin avec un courriel m’invitant à un groupe de travail pour réfléchir à la création du Département de physique de l’Université Paris-Saclay. Enfin, non, je simplifie trop. La physique, c’est un bien trop gros morceau et il a été décidé de la couper en petit morceaux car la mode est au finger food. Le département scientifique dans lequel je dois m’inscrire  et qui représentera un bout de la physique s’appelle le département PhOM pour « Physique des Ondes et de la Matière ».  Le génie créateur de la communeauté scientifique pour la création d’acronymes sans limites. En fait, depuis quelques temps, la créativité est même aidée par le site http://acronymcreator.net. Quelques propositions alternatives auxquelles nous avons échappé auraient été plus proches de la réalité : département PROBLEM pour « Physique OndEs Matiere » ou département PYROMANE pour « PhYsique Ondes MAtiEre ». Acceptons donc d’en rester à PhOM puisqu’il en a été décidé ainsi. Ce département, sera divisé en 7 pôles et il m’a été dit que je serais dans le pôle "Matière et Systèmes Complexes". Ce même pôle sera lui-même représentant de plusieurs « thèmes de recherche » qui sont au nombre de 6 et je crois que je dois me mettre dans la case : « fluides complexes ».   




Ce département est en fait une des nombreuses structures qui ont été pensées dans la COMUE Paris Saclay qui sera en fait divisée suivant une structuration matricielle en schools (mot dont la traduction n’a toujours pas été trouvée) et en départements donc nous avons déjà parlé. Je n’ai malheureusement pas compris comment les schools seront divisées, mais l’on me dit que je fais partie de la school de « Basic science ». La différence entre schools et départements ? Les schools s’occupent de  formation et les départements de recherche. Sachant que l’Université est le lieu de la formation par la recherche, tout est limpide…




Voilà déjà quelques réunions en perspectives… Heureusement, pour un scientifique qui aurait décidé d’en faire son métier, il y a dans le système bureaucratique de la recherche quelques autres réunions possibles. Pour les moins ambitieux, il y a l’échelle du laboratoire qui a un Conseil de laboratoire qui se réunit quelques fois par an, ainsi qu’une commission du personnel. Pour traiter de problèmes un peu plus larges, on pourra aller au Département de physique de l’Université Paris-Sud (à ne pas confondre avec le département PHOM de l’Université Paris-Saclay) ou le conseil de l’UFR.  Si le problème est plus général, on pourra s’adresser au Conseil scientifique de l’Université Paris-Sud mais s’il s’agit d’une question d’enseignement, on verra directement avec le CEVU : le Conseil des études et de la vie universitaire. Les problèmes encore plus cruciaux seront traités au niveau du Conseil d’Administration de l’université. Evidemment, s’il s’agit d’une question traitant des problèmes de personnes, on pourra s’adresser au Comité technique paritaire CTP ou au CSHCT s’il s’agit plutôt de question d’hygiène et de sécurité. Dans un système dual où le CNRS coexiste avec les universités, on pourra évidemment participer à toutes les réunions équivalentes qui existent du côté CNRS : Conseil scientifique d’instituts, Conseil scientifique, CSHCT (chacun le sien), CA, Conseil scientifique… Chaque université voulant être transparent, on n’oubliera pas qu’il est aussi possible de participer à une instance d’une université qui n’est pas la vôtre qui accepte gentiment des extérieurs. Pour des questions traitant des doctorants, il y aura le Conseil de l’Ecole doctorale, et pour les plus attachés à la vie des doctorants, les comités de suivis de thèse. Pour les questions d’évaluations, il y a le Comité National de la Recherche Scientifique, le CNU mais à l’échelon plus local, pour ceux qui n’aiment pas les voyages, il y a les CCSU. Pour ceux qui aiment l’évaluation indépendante, il y a l’AERES…




Evidemment, il faut aussi que certains se dévouent pour distribuer de l’argent. Ils pourront siéger dans les différents comités de l’ANR ou de l’ERC s’ils ont compris comment fonctionne l’Europe. Ils pourront distribuer de l’argent au niveau régional dans les DRRT. S’ils travaillent dans un lieu à l’excellence reconnue, ils pourront distribuer les reliquats d’argent d’un RTRA en étant dans un comité de pilotage, un comité de vie scientifique, un bureau (pour les moins gradés). Ils pourront aussi éventuellement travailler distribuer de l’argent d’un LABEX en se retrouvant alors dans un  comité de direction, un comité de pilotage, un conseil des tutelles, un conseil scientifique.



Georges Cuvier, aurait proposé un classement de ces espèces bureaucratiques. Certaines espèces doivent mourir. Nous dira-t-on lesquelles.

vendredi 20 juin 2014

Que vais-je dire à Alexis ?


J’ai fait la connaissance d’Alexis il y a quatre ans. Il cherchait un stage sur la physique des polymères aux interfaces. Quelle drôle d’idée d’avoir une idée aussi claire de son sujet de stage de master ! Les polymères sont ces longues molécules qui constituent les matières plastiques, les caoutchoucs ou les huiles de synthèses et qui ont du fait de leur grande taille des propriétés particulièrement intéressantes. Alexis avait choisi un tel sujet car il lui semblait qu’il y avait de nombreuses questions scientifiques sous-jacentes mais aussi qu’il pourrait avec un tel sujet apporter sa contribution à un domaine de recherche où les applications ne sont jamais très loin : adhésion, lubrification… J’étais particulièrement content d’accueillir Alexis dans mon équipe car, ancien élève de l’Ecole Polytechnique, il aurait pu choisir d’aller gagner beaucoup d’argent dans une banque mais ce n’était pas sa motivation première.

Depuis cette première rencontre, Alexis a beaucoup travaillé. Il a passé des nuits blanches à faire des expériences sur un réacteur nucléaire à Saclay, il a développé des programmes informatiques pour comprendre ses données, il est allé à la rencontre de chercheurs américains pour l’aider à interpréter ses résultats expérimentaux qu’il a présentés aux meilleurs experts du domaine dans des congrès internationaux, il a publié ses résultats…

Tout irait pour le mieux si je n’avais pas rendez-vous avec lui pour parler de son avenir alors qu’il a commencé à rédiger sa thèse pour la soutenir à la fin de l’année prochaine. Même si nous discutons chaque jour de science ou de petits riens, ces réunions plus formelles où nous parlons d’avenir nous inquiètent.

Que vais-je lui dire ? Alexis aime la science et l’enseignement. Il souhaite pouvoir continuer à apporter sa petite pierre à l’édifice de la recherche. Il est prêt à partir à l’étranger pour quelques années afin de parfaire son expérience de recherche, apprendre de nouveaux sujets, se former à de nouvelles techniques. Il accepte de partir alors que cela veut dire laisser ses amis, ses proches et sa compagne qui elle terminera sa thèse un peu plus tard car évidemment, en biophysique on ne fait pas une thèse en trois ans comme le voudrait le ministère qui régente tout. Il a bien conscience que le métier de chercheur ou d’enseignant chercheur n’est pas un métier de tout repos : il faut jongler entre vie personnelle et expérience, il faut savoir segmenter ses pensées pour pouvoir se concentrer sur un cours en oubliant l’expérience qui ne demande qu’à marcher… Il sait aussi qu’il devra demander de l’argent pour mener à bien ses projets de recherche puisque désormais la mode n’est plus qu’à la recherche sur projets. Il a même déjà compris qu’il faudra mieux choisir un sujet « à la mode » et expliquer en quoi ce qu’il souhaite faire répond à un défis sociétal majeur…

Que vais-je lui dire ? Ce qu’il voudrait savoir c’est s’il a une chance de devenir un jour chercheur… En fait, il est déjà chercheur mais ce qu’il cherche à estimer, ce sont ses chances de pouvoir un jour avoir un emploi stable qui lui permette de faire ce qu’il aime. Les conditions actuelles sont très négatives. Le CNRS perd entre 150 et 180 postes de chercheurs cette année car seuls les départs à la retraite sont remplacés.  Sur la base actuelle, il n’y aura probablement que deux ou trois postes pour quelqu’un comme lui dans trois ans au CNRS. Dans les universités, la situation n’est pas beaucoup plus favorable car le financement des 1000 emplois supplémentaires va surtout servir à financer les engagements de l’état sur les salaires des enseignants-chercheurs en place. Les signaux sont négatifs de toute part comme en témoigne le Comité national de la recherche scientifique.

Que vais-je lui dire ? Ce qu’il voudrait comprendre, c’est pourquoi il entend partout que la recherche est une priorité des gouvernements successifs alors qu’il n’y aura sans doute rien à lui proposer. Comment vais-je lui expliquer que les milliards dont on parle pour les grands investissements d’avenir sont des milliards virtuels qui ne se concrétiseront pas en emplois pour les jeunes comme lui mais sont un moyen de réorganiser la recherche pour faire naitre des mastodontes universitaires ?

Que vais-je lui dire ?  



samedi 29 mars 2014

Recherche et télévision : que faire ensembles


Frederic Restagno 

Si la télévision peut faire appel à ce qu'il y a de moins noble dans l'être humain dans les émissions de téléréalité, il faut reconnaître qu'elle m'a donné la possibilité de réfléchir un peu sur la question de la reconnaissance individuelle et l'égo en particulier. En effet, j'ai eu l'occasion il y a quelques semaines d'être contacté par des journalistes de 2p2l la société de production qui s'occupe de l'émission "On n'est pas quedes cobayes" sur France 5 pour un défi cobaye "Peut-on flotter dansl'eau gazeuse?" Ce tournage m'a fait m'interroger sur deux points : le statut de ma participation individuelle à une expérience télévisuelle dans le cadre de mon métier de chercheur, le second sur la représentation du chercheur comme un personnage singulier qui travaille seul, ou éventuellement avec d'autres chercheurs.

Lorsqu'il a été question que je passe à la télévision dans une émission scientifique, je n'ai pas hésité une seconde, partant du principe qu'il ne faut jamais perdre une occasion de mettre de la science, et pourquoi pas de la physique, dans l'espace public. J'ai d'ailleurs le sentiment que la diffusion des connaissances étant une des missions du chercheur, il ne faisait aucun doute que je pouvais faire cela sur mon temps de travail, en particulier en ne posant pas de jour de congé pour me rendre sur le tournage. Pourtant, une première objection m'a été faite : la société de production qui fabrique cette émission est une société privée qui capitalise sur l'expertise que j'ai acquise en travaillant au CNRS. Je serais donc, en quelque sorte, en train de faire gratuitement de la consultance pour une société privée! Je serais alors en train de brader de la valeur payée par le contribuable. Dans le cas de cette émission particulière, ceci serait renforcé par le fait que l'on ne répond pas seulement à une interview. En effet, on la prépare en testant des expériences à l'avance et surtout on joue notre propre rôle dans une émission scénarisée. La question est intéressante. Il y a plusieurs manière d'y répondre. La première est d'un point de vue juridique : demander aux services juridiques du CNRS s'ils pensent que l'organisme est lésé. La seconde est plus "communautaire" en utilisant les reseaux sociaux, en espérant qu'elle intéresse suffisamment pour que d'autres chercheurs s'en emparent. Une deuxième objection est que l'on va sur un tournage par narcissisme pour répondre à un besoin individuel de valorisation de son image, de son métier et de son savoir. Je n'ai pas envie de réfuter cette affirmation : s'il y a toujours un peu d'appréhension à se voir et s'entendre, la joie dans les yeux de nos enfants et la fierté de nos proches quand ils nous voient à la télévision est une motivation importante qui n'est pas sans procurer un certain plaisir. La question de l'égo comme motivation du chercheur est trop complexe pour être abordée aujourd'hui.

c'est ce plaisir individuel qui motive la seconde partie des ce post. Lorsqu'on va dans une telle émission de télévision, on y apparaît seul, certes comme un expert d'un domaine ayant une communauté derrière, mais seul.  Ceci reflète mal la réalité de notre travail. Nous, chercheurs, travaillons en équipe et avec de nombreuses personnes qui n'ont pas la joie d'être montrées à la télévision malgré leur rôle fondamental. Si je ne pense qu'à la préparation de cette émission de télévision, j'ai demandé de l'aide au service mécanique et instrumentation de mon laboratoire pour qu'ils m'aident à préparer un bateau pour le mini James, j'ai dérangé une ingénieure pour qu'elle m'aide à filmer les tests avant de les envoyer à la télévision, j'ai sollicité une gestionnaire pour qu'elle prépare un ordre de mission pour que je sois couvert lors du tournage, j'ai appelé la chargée de communication du CNRS pour qu'elle me conseille... Tous ces gens ont été remerciés sur le générique et je comprends que la télévision ne puisse guère faire plus.
Pourtant, c'est bien peu de choses car eux aussi ont des enfants, des amis, des proches qui peuvent être fiers du travail de ceux indispensables à la science, mais jamais représentés dans l'imaginaire collectif et dont les postes sont toujours ceux que l'on a envie de supprimer quand on parle de réduire le nombre de fonctionnaires...

lundi 17 février 2014

Déformer du verre peut être plus facile que faire couler de l’eau




Les développements de la microfluidique pour réaliser des laboratoires sur puces imposent de mieux comprendre le comportement des liquides qui s’écoulement dans des canaux de petite taille. Ainsi la taille minimale en dessous de laquelle un liquide confiné va garder son comportement de volume est une question qui fait polémique. 

Ce qui vient d’être montré grâce à une collaboration entre notre équipe et les équipes de Cécile Cottin-Bizonne et Elisabeth Charlaix, est qu’il est possible de faire une erreur fondamentale dans l’interprétation des données de mesure en oubliant  qu’un liquide peut déformer un matériau aussi dur que le verre.

Sphère et plan en pyrex déformés par le liquide.

Lors des thèses de Richard Villey et d'Emmanuelle Martinot, nous avons mesuré, en utilisant un appareil à forces de surface (dSFA pour dynamic Surface Forces Apparatus), la force qu’il faut appliquer pour faire osciller dans différents liquides (mélanges d’eau et de glycérol, huiles silicones) une bille de verre de rayon environ 3 mm au-dessus d’une petit plan de verre (1 cm x 1cm, épaisseur 5 mm). L’amplitude des oscillations de la bille est faible (une fraction de nanomètre) et la fréquence choisie de quelques dizaines de Hertz. Alors que nous nous attendion uniquement à mesurer une force en phase avec la vitesse de déplacement de la sphère et tendant vers l’infini pour des distance sphère-plan tendant vers zéro, nous avons obtenu une partie de réponse en phase avec la position de la sphère, ce qui est la signature d’un comportement élastique pour ce liquide. De plus, nous n'avons pas vu de divergence de la force visqueuse. 

En fait, il a été possible d’interpréter complètement les données expérimentales, pour l’ensemble des liquides étudiés, en faisant l’hypothèse que les liquides gardent leurs propriétés mécaniques de volume jusqu’à des confinements de une taille de molécule mais en prenant en compte que lorsque le confinement devient trop important, ce n’est plus le liquide qui s’écoule mais le verre qui se déforme.

Ce travail ouvre de nouvelles perspectives pour comprendre les écoulements de liquides confinés dans des situations aussi complexes que les suspensions solides concentrées (boues ou bétons)  ou dans les matériaux nanocomposites puisqu’il montre qu’on ne peut pas considérer les propriétés mécaniques de systèmes confinés sans prendre en compte les propriétés mécaniques des surfaces en regard… 


Référence: Villey, R., Martinot, E., Cottin-Bizonne, C., Phaner-Goutorbe, M., Léger, L., Restagno, F., & Charlaix, E. (2013). Effect of Surface Elasticity on the Rheology of Nanometric Liquids. Physical review letters, 111(21), 215701. [lien]